Une introduction à « La poursuite de l’amour »
En 1770 la comtesse du Barry, maîtresse de Louis XV convainc son royal amant de faire construire à Louveciennes un petit pavillon de musique où elle pourrait recevoir ses invités. Les plans de l’ouvrage sont confiés à un architecte de 34 ans, Claude Nicolas Ledoux.
Pour décorer l’un des salons « en cul de four », la comtesse du Barry commande à Jean Honoré Fragonard des panneaux décoratifs aux titres évocateurs : La poursuite, Le rendez-vous, L’amant couronné, Les lettres d’amour. Fragonard y travailla intensément du printemps 1771 à l’été 1772. Les toiles, livrées, ne furent cependant jamais installées et la comtesse les renvoya au peintre. Plusieurs explications furent avancées. On prétendait à la cour que Louis XV avait reconnu ses propres traits en ceux du jeune homme du « Rendez-vous » et qu’il avait craint le ridicule ou le scandale. On a dit également que la du Barry, à la pointe du bon goût, trouvait les robes des jeunes filles fort démodées. Les tableaux de Fragonard furent donc remplacés par quatre toiles traitant du même sujet mais de style néo-classique peintes par l’académicien Joseph Marie Vien. Fragonard entreposa ses tableaux dans son atelier du Louvre pendant dix huit ans.
En 1790 il descendit à Grasse avec sa femme Marie Anne, leur fils et sa belle sœur Marguerite Gérard qui peignait également. Son cousin Honoré Maubert, un riche parfumeur de Grasse lui passa alors une commande pour son hôtel particulier et Fragonard utilisa entre autres les quatre toiles peintes pour la comtesse, complétant cet ensemble par deux nouveaux tableaux de la même taille et plusieurs panneaux. A la mort d’Honoré Maubert ces toiles furent vendues au richissime Pierpont Morgan qui les fit installer à Londres avant de les emmener aux Etats Unis. Ils y furent prêtés des années durant au Metropolitan Museum of Art pour être exposés dans une salle qui recréait l’accrochage original de Grasse.
A la mort de Pierpont Morgan, en mars 1913, le riche industriel new-yorkais Henry Clay Frick fit construire un hôtel particulier donnant sur Central Park et acheta les Fragonard pour les installer dans un grand salon, « the Fragonard room », où on peut les admirer aujourd’hui. Henry Clay Frick était un important collectionneur d’œuvres d’art et les toiles de « la poursuite de l’amour » côtoient maintenant des tableaux de Gérard David, du Titien, de Bronzino, Bellini, Vermeer, Chardin, Van Dyck, Rembrandt … ainsi que de superbes sculptures et meubles des XVII et XVIII ièmes siècles. A sa mort, Henry Clay Frick laissa sa maison et toutes ses œuvres d’art à une fondation chargée de développer la « Frick collection ». Ouverte au public en 1923, elle s’est depuis enrichie de nombreux chefs d’œuvre tels que « la comtesse d’Haussonville » d’Ingres ou la « Tentation du Christ » de Duccio.
Si vous passez par New York réservez quelques heures à la visite de ce ravissant hôtel particulier qui sert d’écrin à une des plus belles collections d’œuvres d’art de la ville.
Versailles, le 15 octobre 2011
Dix mois passés en compagnie de « La poursuite de l’amour »
J’ai toujours admiré la peinture de Fragonard, son apparente légèreté, la variété de sa touche et la multiplicité de ses sujets et je n’ai jamais omis, lors de chaque passage à New-York, de rendre une visite à la Frick collection , tant la suite des tableaux de « La poursuite de l’amour » me fascinaient.
Je m’étais essayée au fil des années, à tenter d’apprendre des grands maîtres, en reproduisant des œuvres qui me touchaient particulièrement. Chardin, Boucher, Ingres, Corot en ont fait les frais et si mes tableaux sont très imparfaits, ces longues journées ou mois d’apprentissage à la recherche de leurs secrets m’ont emplie de bonheur.
En décembre 2010, devant les panneaux vides de mon petit salon, je me lançais dans une reproduction des quatre tableaux de « La poursuite de l’amour » à une échelle réduite à quatre fois 200×100 cm, ce qui impliquait une réinterprétation des ciels mais permettait une reproduction fidèle du cœur des tableaux.
J’ai commencé par « La poursuite » avant d’enchaîner avec « Le rendez-vous », « L’amant couronné » et « Les lettres d’amour ». Ce marathon s’est achevé début juin 2011 avec pour la première fois le montage sur un mur des quatre tableaux côte à côte, dans l’ordre choisi par Fragonard. Deux mois seront nécessaires pour reprendre chaque tableau et tous ensemble, de façon à retrouver une harmonie de couleurs, une cohérence picturale, une légèreté des arbres proches de celles de mes modèles.
Après vernissage, montage sur châssis, mise en place des tableaux et installation d’un éclairage approprié, nous inaugurions le « petit salon Fragonard » en compagnie d’amis en octobre 2011.
Je ne revendique pas une reproduction parfaite tant le génie de Fragonard est grand. Je suis sortie épuisée de ces dix mois exclusivement consacrés à « La poursuite de l’amour » mais je crois mieux comprendre ce qui caractérise l’œuvre de ce grand peintre et peut-être m’en restera-t-il quelque chose !
Dominique Trémois-Chazot